GUSTAVE FLAUBERT: L'EDUCATION SENTIMENTALE

          J'ai eu envie de relire l'Education sentimentale. Faut il d'ailleurs écrire "relire", tant il est loin, ce temps où l'on nous inculquait les fondements de notre culture; au XIXe siècle, BalzacFlaubertStendahl et LamartineMussetVigny (barbant, Vigny.... quoique.... La Mort du loup.... on n'a jamais rien écrit de plus beau sur la force de caractère). Au dessus flottait, seul sur son olympe, le père Hugo....

          Pour en revenir à la trilogie de prosateurs, j'ai pas mal relu de Balzac parce que j'ai ses oeuvres complètes à la maison, et chaque fois, ça finit par me tomber des mains, ces descriptions.... Mais Flaubert, non, je l'avais négligé, même si je me souviens avoir eu une passion juvénile pour Salammbô. Alors ça a été un choc de le relire, tellement il est évident que c'est cet homme qui a inventé le roman moderne. 

          Cette définition d'un arriviste.... chérissant le pouvoir d'un tel amour qu'il aurait payé pour se vendre. Qui ne donnerait dix ans de sa vie pour avoir trouvé cette formule: ..... il aurait payé pour se vendre. Ce n'est pas du talent: c'est du génie.

          Flaubert est le chantre de la bêtise, depuis la bêtise ordinaire jusqu'à la bêtise à front de taureau. Madame Bovary est une petite sotte; mais tout au moins la comprend t-on, l'excuse t-on, peut-on avoir pour elle une sorte de pitié sororale; Frédéric Moreau est un énorme rien. Il est paresseux; il aime l'argent mais pas pour le faire travailler, juste pour pouvoir s'acheter des trucs tape-à-l'oeil, des vêtements chics, des meubles couteux, une voiture à cheval. Il est inculte; il n'a aucun intérêt, sauf pour sa propre personne et pour l'effet qu'elle peut produire. Bien sûr il est pour la révolution, comme nos gauchistes du VIIe arrondissement, c'est classe, mais s'il va se frotter aux émeutiers, cela reste de loin.... et pendant les évènements de juin 48, il folâtre avec sa maitresse à Fontainebleau. Il est incapable de choisir entre trois femmes, madame Arnoux, l'irréprochable (bien que son mari soit un vrai saligaud), sans doute justement parce qu'elle est intouchable; Rosanette, la fille entretenue, aussi bête que cupide, puis l'élégante madame Dambreuse, la riche veuve qui lui permettrait d'entrer vraiment dans la haute société, la femme "classieuse" par excellence mais qui se révèlera aussi cupide que la petite poule quand il s'agira le spolier la fille naturelle de feu son mari. Quel monde! quelle vision du monde!! Je me pensais assez misanthrope mais là je rends les armes...

          Autour de Frédéric il y a tous ses amis, des amis de tous bords politiques, plus ou moins fidèles, plus ou moins honnêtes, plus ou moins corrompus.... et surtout, il y a l"histoire, cette histoire trépidante entre 1840 et 1848; les gouvernements de Thiers puis de Guizot pendant que l'impopularité de Louis-Philippe ne fait que croître; les tentatives de prise du pouvoir par Louis Napoléon Bonaparte; puis la révolution de 1848, l'abdication de Louis-Philippe et la proclamation de la seconde République, jusqu'aux terribles journées de juin où la fermeture des ateliers nationaux qui donnaient du travail aux chômeurs met le peuple de Paris dans la rue. Barricades, répression et des milliers de morts chez les insurgés comme chez les gardes nationaux. Tout cela, Flaubert le perfectionniste l'inscrit en filigrane des tristes amours de Frédéric. C'est parfois franchement compliqué à suivre.... mais on peut être sûrs qu'il n'y a pas le moindre anachronisme.

          Arrivé vers la cinquantaine, se rappelant avec un ami une vague polissonnerie d'adolescents acnéiques, les deux complices concluent: c'est là ce que nous avons eu de meilleur; conclusion désenchantée d'une vie inutile.... Magnifique Flaubert!