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Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

MICHEL TOURNIER: GASPARD, MELCHIOR & BALTHAZAR

          Que Michel Tournier soit le plus grand des écrivains français du dernier demi-siècle, j'espère que c'est évident pour tout le monde, non?

          Un écrivain, c'est quelqu'un qui a un style et un univers. Un grand écrivain, c'est celui qui a un style inimitable et un univers totalement personnel. Tournier, donc. 

         Oh, on peut être un écriveur très agréable en racontant des choses intéressantes (sur notre temps par exemple) avec un style convenable, mais plat. De cela nous avons en France quelques bons spécimens. On peut aussi, hélas! et je pense à un certain nombre de jeunes auteur(e)s malheureusement encensé(e)s par la critique, avoir un "style" -mais si fabriqué, si artificiel, si faux qu'il s'agit de formatage (pour plaire aux critiques de Télérama...)

          Chez Tournier, c'est autre chose. On débarque dans un autre système solaire.

          Que nous raconte t-il, dans Gaspard, Melchior & Balthazar? L'histoire des quatre Rois Mages, revisitée.... Mais quatre? Vous avez bien dit quatre? Oui oui, Tournier en a inventé un quatrième -le plus intéressant..... Des trois autres, il a imaginé la vie, et à travers ces trois vies et ces trois destins, c'est bien la voix de l'écrivain que l'on entend, qui s'interroge sur le sens religieux, l'avènement du christianisme, et ce qui est stupéfiant, c'est que l'on a à faire avec un grand livre théologique.

         Je prends un simple exemple: Dieu créa l'homme à sa ressemblance et à son image. Redondance? pas du tout, dit Tournier. La ressemblance, c'était avant le péché. Après la chute, il reste l'image. Quelque chose en deux dimensions, qui "ressemble", mais ne peut rien retenir, rien contenir. Comme c'est évident! Mais pourquoi on ne nous a jamais dit ça, au catéchisme? Pourquoi les prêtres ne disent jamais cela, en chaire?  

          Revenons à nos trois amis, non sans rappeler au passage qu'en ce qui concerne le personnage historique, Hérode, Tournier avec son incroyable goût de l'érudition ne nous laisse rien ignorer. Tout, tout, on apprend tout sur le massacreur de nouveaux nés.....

          Gaspard est nubien, et fasciné par la peau blanche et la blondeur de l'esclave phénicienne dont il vient d'enrichir son harem. Mais dans la crèche, il verra un Jésus africain -n'est ce pas plutôt Dieu qui est à l'image de l'homme qui le regarde.....  Melchior, qui vient de Syrie, est un prince détrôné. Quant à Balthazar, le babylonien, il est, lui aussi, fasciné par l'image. Venant d'une religion où toute représentation est proscrite, ses voyages en Grèce lui ont fait découvrir un monde fabuleux de dieux, de déesses, il collectionne, il entasse, ébloui par la richesse du polythéisme. Il aime la beauté, et par dessus tout la représentation de la vie. Il a commencé, enfant, cette quête de la beauté en chassant le papillon. Un vieux sage lui a donné un bloc de myrrhe enfermant un de ces insectes et pour lui la myrrhe, cette résine qui peut emprisonner la vie, ou du moins l'image de la vie, créant une sorte d'immortalité, est la substance la plus précieuse. Bien sûr, derrière Balthazar on entend Tournier parlant du polythéisme, de l'iconographie, s'interrogeant sur la relation entre le sens du beau et l'esprit religieux..... 

       Mais naturellement, c'est le personnage de Taor qui va parachever le récit. Taor vient des Indes. C'est un esprit joyeux, tranquille et plutôt épicurien. Il laisse volontiers ses ministres gouverner à sa place. Il aime avant tout les sucreries, et ce qu'il vient chercher au cours de cet interminable voyage -c'est le secret de la recette du rahat loukoum à la pistache... Interminable voyage entrepris avec cinq éléphants chargés de richesses, de pierres précieuses et de victuailles. Naturellement, il arrive trop tard devant la crèche. Mais il s'alarme de voir les enfants  de Bethléem si maigres, convie tous ceux qui ont plus de deux ans à un formidable festin de sucreries -alors même que l'on apprend qu'Hérode est en train de faire massacrer les nourrissons, ce qui sera une première source d'interrogation chez Taor. Pour lui, le voyage se poursuivra pas Sodome. 

        Vous ne vous étonnerez pas d'apprendre que la sodomie donne l'occasion à Tournier de digressions ébouriffantes. Je ne peux résister à en citer un paragraphe: "....la possession, au lieu de s'enfermer dans un cul de sac, se branche sur le labyrinthe intestinal, irrigue chaque glande, excite chaque nerf, émeut chacune des entrailles, et débouche finalement en plein visage, métamorphosant tout le corps en trompette organique, tuba viscéral, ophicléide muqueux, aux boucles et volutes infiniment ramifiées" L'incroyable érudition de Tournier s'est exprimée, tout au cours du livre, par des digressions de ce genre à propos de tout et de rien -des papillons par exemple, mais celle ci est particulièrement inattendue.

           Revenons en à Taor. A Sodome, tous les éléphants sont morts -les deux derniers transformés en statues de sel après des ablutions trop prolongées dans la Mer Morte. La petite troupe restante prend le chemin du retour, fauchée, mais Taor, ému par le sort d'un caravanier chargé de famille s'engage à payer sa dette (trente trois talents....) et, n'étant plus en mesure de le faire, de purger sa peine par trente trois ans d'esclavage dans les terribles mines de sel. Trente trois ans? Il retrouvera la trace de Jésus dans son périple hors de Sodome, et ira au paradis. Car c'était un coeur simple, et un coeur pur. De ceux à qui il est promis de voir Dieu....

          C'est un récit éblouissant et, d'une façon aussi détournée que stupéfiante, un vrai livre chrétien qui pousserait à la conversion......

 

 

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