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Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

AUTOMOBILE CLUB D'EGYPTE par ALAA EL ASWANY

         C'est un conte des Mille et une Nuits -mais qui pue la charogne. C'est une belle histoire d'aventures coloniales à la Rudyard Kipling -mais où tout n'est qu'humiliation, coups bas, traitrises.... 

          Lire Alaa El Aswany, c'est prendre une leçon d'histoire contemporaine mais pas barbante, pas didactique, pas pontifiante, non une leçon d'histoire vécue, crue, qui sent la sueur et l'argent sale.

           L'Egypte d'avant Nasser, c'est le concentré du colonialisme dans son visage le plus moche. Les Anglais méprisent les Egyptiens. Les Egyptiens riches méprisent les pauvres. 

           Les Anglais ont importé les automobiles. Les riches Egyptiens, pachas et beys, en ont acheté et passent leurs soirées à l'Automobile-club d'Egypte aux tables de jeu, en buvant du whisky. Parmi eux, le jeune roi Farouk, obèse, obsédé sexuel, dont les Anglais exploitent évidemment l'avilissement. L'établissement appartient au roi, même s'il est dirigé par un anglais dont la moralité est aussi pourrie que celle des riches autochtones qu'il reçoit. La puissance est en fait dans les mains de l'abominable El-Kwo, grand chambellan du roi, toujours flanqué de son jeune comparse  homosexuel qui distribue les coups de fouets dont El-Kwo est très généreux (mais il ne s'abaisserait pas à les donner lui même, lui qui parade dans de superbes tenues d'apparat brodées). Il fait régner la terreur; il fait régner la terreur sur un personnel pléthorique qui accepte son sort sans broncher, louant en public dès que l'occasion s'en présente El-Kwo leur bienfaiteur, qui les châtie avec tant de justesse!

             L'histoire du Club s'entremêle avec celle de la famille d'Abdelaziz Haman. Abdelaziz appartenait à une puissante famille de Haute-Egypte. Comme tout personnage important qui se respecte, il devait entretenir une horde de parents pauvres, de quémandeurs et d'obligés de tout poil. Pour tenir son rang, il lui fallut donc vendre ses biens. Jusqu'a ce qu'il n'y en ait plus, et que pour faire vivre ses quatre enfants, leur donner une bonne éducation -pas question qu'ils ne fassent pas d'études, la fille y compris, il dût partir au Caire et accepter une place de manutentionnaire..... à l'Automobile-Club. Il faut dire que lui et ses enfants avaient la peau très sombre, et que les serviteurs à la peau sombre, les Nubiens, sont très recherchés car cette carnation les pose tout de suite à leur place : inférieure..... Il ferait beau voir qu'un serviteur ait la peau aussi claire qu'un aristocrate!

          Mais alors que la plupart des employés se vautrent devant leur sublime bienfaiteur El-Kwo, voilà que quelques éléments viennent jeter une note discordante...... le parti nationaliste Wafd s'est déshonoré en se laissant circonvenir par les Anglais, et voilà qu'une branche dissidente du Wafd renait sous l'impulsion du prince Chamel, propre cousin germain du roi...Le fils d'Abdelaziz, Kamel, que la mort de son père a contraint à prendre, lui aussi, un travail au Club tout en continuant ses études est recruté par Chamel. Le plus courageux est le jeune portier Abdoune, qui réclame la fin des châtiments corporels, et pousse une (petite, toute petite) partie du personnel à la grève..... 

           Dans la famille Haman, nous suivons aussi le destin de Saliha, bonne élève, forte en maths, qui se laisse aller à un désastreux mariage parce que, malgré tout, la société a mis dans la tête de ces petites jeunes filles qu'un beau mariage, c'est quand même l'idéal pour une femme....Et Mahmoud, le petit dernier, le cancre, le fainéant, qui devient gigolo pour de très vieilles anglaises. 

             Toutes ces aventures se lisent avec délice, mais à l'arrière plan, il y a donc ce constat politique terrifiant qu'Alaa El Aswany a eu le courage de faire. Bon, ne tapons pas sur les Anglais; nul doute qu'on eut pu écrire le même roman dans le contexte de la France africaine, collusion du colonisateur avec les petits chefs corrompus, exploitation des pauvres noirs par les uns et les autres..... Mais il y a aussi, est ce que l'auteur en a été vraiment conscient? un terrible constat sur le rôle sociétal de la religion. La religion musulmane, en inculquant aux pauvres croyants la notion d'acceptation de l'ordre social, de soumission à Dieu..... et aux maîtres permettait de figer in aeternam une société inégalitaire. En fin de compte, c'est parce qu'ils ont été colonisés et ont découvert autre chose que ces peuples ont pu se rebeller -et imposer un changement de régime et d'une certaine façon on peut dire, vive la colonisation...

            Ce livre tout en étant très alerte est passionnant; tout le monde devrait l'avoir lu!!

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