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Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

CAPTIVE de Margaret ATWOOD

            Encore un magnifique roman de l’impératrice du Canada!Dans ce texte inspiré d’une affaire historique : le meurtre, en 1840, d’un propriétaire aisé, Thomas Kinnear, et de sa gouvernante /maîtresse, Nancy Montgomery par le valet, James McDermott, et la petite bonne, Grâce Marks, elle nous promène dans les détours tortueux d’une âme simple –et qui pourtant restera totalement opaque.

            Le valet est condamné à mort, et pendu. Mais Grâce est promenée de prison en asile d’aliénés, avant de se retrouver servante chez le directeur de la prison de Kingston, pas très loin de Toronto, entourée d’un comité de bonnes âmes qui réclament sa libération. C’est que les déclarations de la petite, qui n’avait que seize ans au moment des faits (après une enfance misérable auprès d’un père alcoolique et brutal et d’une ribambelle de petits frères et sœurs) sont contradictoires ; elle n’a rien fait ; ou elle ne se souvient de rien… un bon avocat a pu jeter le doute et lui éviter le pire.

            Simon Jordan, un jeune médecin féru d’idées nouvelles, vient lui faire raconter son histoire, dans le but de faire, peut-être, émerger des souvenirs refoulés… Mais Grâce, avec la ruse des esprits primaires, lui raconte ce qu’elle veut, et les bonnes âmes n’en sauront pas plus. Menteuse, affabulatrice, amnésique, porteuse d’une double personnalité, hantée par l’esprit diabolique d’une ancienne amie, Mary Whitney, morte à moins de vingt ans en tentant de s’avorter…. le lecteur n’en saura pas plus que les gens du XIXème siècle. Il est vrai que Simon, esprit faible à la sexualité pitoyable, n’était certainement pas le mieux armé pour décrypter les silences et les mensonges de Grâce.

            Ce roman est aussi un acte social de dénonciation de la vie de la domesticité en ce siècle, de la vie de ces petites bonnes travaillant… six jours et demi par semaine, eh oui, le dimanche matin elles sont exemptées de service pour pouvoir assister à l’office, bien-pensance oblige, logées dans des taudis sans chauffage sous les toits, soumises si elles sont jolies à la main baladeuse –ou autre chose- du maître de maison.

            Le texte se partage entre les activités de Simon, avec la correspondance qu’il entretient avec sa mère ou les médecins aliénistes qui l’inspirent, et le récit de Grâce. Récit réécrit, évidemment, dans une langue élégante qui ne serait sans doute pas celle d’une petite paysanne sans éducation, mais qui est totalement fascinant. Quelle force psychologique dans ces pages ! Grâce est bigote (l’acte sexuel hors mariage semble l’effrayer beaucoup plus que l’homicide) et bourrée de superstitions. Stupide et rusée. Impulsive et calculatrice.

            Il est clair que monsieur Kinnear commençait à devenir insistant, et que Grâce ne savait pas comment s’en sortir. Et il est aussi clair qu’elle déteste la lunatique Nancy, qui l’a embauchée. Parce qu’elle couche avec le maître, et que c’est donc la maison du péché ? Parce qu’elle donne des ordres, alors que ce n’est, au départ, qu’une domestique elle même ? Est-ce que ce sont des raisons pour tuer quelqu’un ?

            Et pourquoi, après que James lui ai fait peur de ses projets meurtriers, pourquoi n’a t-elle pas agi ? Parlé pour empêcher les meurtres ? Parce qu’elle n’y croyait pas (mais si, elle y croyait). Parce qu’elle était paralysée par la peur ? La peur de James ? A t-elle vraiment vécu ces événements, suivis de sa fuite avec James, dans une sorte d’hébétude stupide ? Personne ne le saura jamais, mais Margaret Atwood nous a fait pénétrer avec génie dans les méandres de cette âme à la fois primaire et tortueuse….

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