AFFLICTION de RUSSELL BANKS

         Encore un livre magnifique d'un écrivain qui mériterait le Nobel, si le jury ne recherchait pas plutôt un Mongol du nord ou un Aléoutien; qu'ils en soient remerciés d'ailleurs, car combien de pépites avons nous découvertes qui sans le Prix seraient restées confidentielles, alors que les Nord-Américains n'ont pas besoin de pub... 

          Il n'empêche que Banks, comme Cormac McCarthy, a un don prodigieux pour sonder les reins et les coeurs de ces gens de rien, du petit peuple de l'Amérique profonde. Ici c'est une petite ville du New Hampshire  où pour les hommes la vie se résume à : travailler, copuler, boire, et en saison, chasser le cerf. Pour les femmes, la vie est encore plus restreinte. Pour les jeunes, le trafic de la marijuana peut être une activité complémentaire...

         La descente aux enfers de Wade, qui se termine par deux meurtres, est relatée par son jeune frère, Rolfe. Naturellement, un psy étudiant l'affaire diagnostiquerait Wade comme paranoïaque; son comportement au cours des dernières semaines l'est assurément; mais seul Rolfe est capable de comprendre que le cerveau de son frère a été bousillé par des années de peur et d'humiliation. Leur père -père de 5 enfants; les deux ainés mourront au Viet Nam, ce qui permet de dater le récit- était une brute alcoolique qui les terrorisait, qui pour n'importe quelle raison les frappait (pas une petite fessée: un tabassage en règles); la mère? passive, elle ne les a pas protégés, occupée sans doute à sa propre survie. Rolfe, le petit dernier a eu la force de s'échapper, de quitter la ville en se promettant de n'y jamais revenir. Sauvé pour autant? apparemment oui, il est professeur... mais il n'a pas de vie affective, ni femme, ni enfant, l'enfance saccagée a quand même laissé des traces. Wade aussi était intelligent; Wade aussi aurait pu aller à l'université; mais il était amoureux de Lilian depuis le collège, et son idée fixe était dès lors de se marier jeune et de former ce couple idéal -parents amoureux, enfants choyés- que ses géniteurs avaient complètement raté.... Naturellement rien ne se passera comme il faut: la violence, elle lui a été transmise. Divorce, re-mariage, re-divorce et une petite fille dont il a perdu la garde, qu'il s'imagine pouvoir récupérer alors que la petite, lorsqu'elle passe une journée chez son père n'a qu'une envie: fuir!!! Il survit donc en tant que représentant local de la police et homme à tout faire pour le puissant propriétaire foncier de la ville.

          Il y a ce père, désormais veuf, toujours plus alcoolique, toujours plus méchant, dont Wade s'occupe (juste pour récupérer a maison? Ou mu par quelqu'obscure aliénation?) Dans cet esprit malade, plein de désirs de revanche et maintenant de haine, s'échafaudent d'invraisemblables complots qu'il se propose de déjouer....

           Quand un individu commet un crime atroce, tuant femme et enfants, on entend les voisins dire qu'ils ne comprennent pas, il était si gentil, poli, serviable.... Banks nous montre combien d'amertume, de refoulements, de désirs de revanche peuvent se dissimuler dans la tête d'un quidam poli et serviable. Et c'est magnifique!!!!