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Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

UN BREF INSTANT DE SPLENDEUR de OCEAN VUONG

        Qu'est ce qu'un écrivain? Pas n'importe quel plumitif, n'importe quel raconteur d'histoires, mais quelqu'un qui a une ECRITURE. Alors oui, Ocean Vuong (qui est aussi poète, qui est SURTOUT poète et qui vient de publier un livre de poésie très remarqué) en est un, assurément!!!

        Il se lance dans le roman avec Un bref instant de splendeur. Mais est ce vraiment un roman? On cherche en vain un début de scénographie qui signerait un récit. Sans doute est ce plutôt une autre forme de poésie que cette lettre,  écrite dans le désordre, à sa mère morte. Souvenirs, impressions en vrac avec sans cesse des images fulgurantes, insolites. Je  prends un paragraphe, au hasard: "l'odeur de la station d'épuration m'a piqué les yeux juste avant que le vent n'en fasse ce qu'il fait des noms des morts: la balayer derrière moi"

        Oh, il n'est pas question de Vietnam, le Vietnam, il avait deux ans quand il l'a quitte, en 1990, au moment de l'évacuation de Saïgon, avec sa mère, sa grand mère et sa tante. Sa grand-mère, Lan, qu'il décrit comme schizophrène (mais aimante) et dont les crises de délire sont peut être dues aux horreurs qu'elle a vécues, et sa mère, employée dans une chaîne de manucurerie depuis que la famille a trouvé refuge dans le Connecticut, chaîne où on voit travailler des petites chinoises qui n'ont pas plus de dix ans... et qui communique avec son fils essentiellement par des coups, parfois violents (une théière en céramique qui lui explose sur la figure....). Peut être que lever la main sur son enfant, c'est le préparer à la guerre, pense t-il. Il l'aime, il la déteste, Il lui écrit, il lui raconte tout, en vrac, tout ce dont il n'a jamais vraiment pu lui parler, son homosexualité découverte à peine ado..

        Ecrivain vietnamien? Non, il n'en a rien que le patronyme. C'est l'écrivain des petites villes pourries de l'est désindustrialisé des Etats Unis, où les jeunes, déscolarisés, déstructurés, n'ont qu'un intérêt: se procurer de la drogue. La drogue, ils l'ont découvert via l'OxyContin, cet opiacé anti-douleurs que des compagnies pharmaceutiques sans foi ni loi ont largement diffusé, faisant des dépendants par millions. Bon, la drogue, ils l'auraient découverte de toutes façons... Vous voyez, on est beaucoup plus proche de John Steinbeck et de ses petits blancs que de Nguyên Huy Thiêp....

        Ecrivain vietnamien? La crudité avec laquelle il raconte comment ils "l'ont fait" réellement, avec Trévor, pour la première fois, après le stade bisous, léchouilles et caresses ferait virer au rouge bien des carnations annamites. Car oui, des années après, le souvenir de ce premier amour, cet autre gamin paumé, fils d'une épave alcoolique, mort d'une overdose, est toujours là. Trevor qui ne voulait pas être "pédé à vie", ce que celui qu'on appelait "Little dog" a parfaitement intégré. Mais à condition que sa mère n'en sache rien, et heureusement, le jour où on a tagué à la bombe l'insulte suprême sur leur maison, Rose n'est pas capable de lire, et comme c'est de la peinture rouge, "Little dog" lui fait croire qu'ils ont écrit "Joyeux Noël"... Etre homosexuel n'est pas facile au Viet Nam; cela ne l'est pas plus dans les petites villes américaines. Alors, il lui parle beaucoup de Trévor dans cette lettre posthume. On pense à l'Année de la pensée magique, cet essai bouleversant de Joan Didion.

        Pour survivre, il faut la pensée magique. Ocean Vuong a survécu. Il a, d'une certaine façon, survécu à son destin de déraciné,  lavé les années d'humiliation vécues par sa mère et sa grand mère, accepté d'être différent. Il peut maintenant parler de tout cela, avec, presque, de l'humour. Il s'est même retrouvé un bon grand père, ce militaire américain qui avait fait à Lan, sans le savoir, un petit métis. Il peut témoigner. Il est devenu écrivain. Et même, s'il n'est pas devenu à proprement parler un écrivain vietnamien, la description de ce que la guerre, la peur, l'exil a fait de ces trois femmes est d'une force incroyable. Et on n'oublie pas facilement ces chapitres, dont certains ne sont rien de plus qu'une enfilade de petits haïkus balancés à la diable. Oui, un écrivain est né.

 

 

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