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Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

LES DEUX ETENDARDS de LUCIEN REBATET (complété)

           Pourquoi? Parce que des amis à moi, en qui j'ai toute confiance, m'ont présenté cet "ouvrage" comme intéressant, Rebatet étant un grand connaisseur de musique et un passionné de Wagner. Reconnaissons que les seules pages lisibles, dans ce répugnant opuscule, sont celles où il parle de musique; en ce qui concerne la peinture et la littérature, pas certaine que son goût soit aussi sûr. Dont acte: Rebatet admirait Wagner (et savait en analyser la musique). Hitler aussi. On n'est pas responsable de ses admirateurs. 

           Autre "dont acte", Rebatet écrivait bien. De longues phrases bien balancées, avec des accords de temps recherchés, truffées de mots qui, déjà en 1900, étaient inconnus d'un bachelier moyen. Le hic: Rebatet, qui écrit très bien, écrit comme Balzac, qui écrivait fort mal: il en a les longueurs sans les lourdeurs. M'enfin, en 1950, peut on écrire comme cela? Alors que la Nausée, la Chute ont déjà été publiés? Vous me direz: Rebatet ne les avais pas lus, en étant, au chapitre lecture, resté à Mein Kampf. J'aime bien aussi que dans ces phrases élégantes, Rebatet insère de temps en temps un terme carrément ordurier, mais toujours classe: on est plus chez François Villon que dans les cités. Comme j'aime bien le mélange sucré salé, j'adore ce genre d'unions contre-nature.

           Ces plus de mille pages (imprimé petit.... mais j'ai pour principe, quand je commence à lire une oeuvre, de la terminer. J'ai eu du mal à venir à bout de l'Homme sans qualités.... mais chez Musil, il y a du fond!!) n'ont qu'un but: démontrer que la religion en général et tout particulièrement le catholicisme, c'est quelque chose de malsain et d'abêtissant. Qu'on critique le catholicisme, voilà qui est licite et souvent justifié, tant la religion officialisée s'est éloignée des Evangiles. Il y aurait donc un moyen de le faire intelligemment. Hélas! L'intelligence est la chose la plus absente de ce torchon.

           Voilà donc le pitch: deux amis, Michel le narrateur, en quelque sorte, libre penseur, et Régis qui se prépare à rentrer chez les Jésuites après le bac. Mais Régis est très amoureux d'Anne-Marie. Aussi pieuse que lui, elle rentrera dans les ordres un an plus tard. En attendant, le saint couple passe son temps à se peloter, se tripoter en privé et en public. Ils passent des nuits à la belle étoile, mêlant pelotage et extases mystiques... Michel impressionné s'engage (tout en restant foncièrement mécréant) dans le parcours vers la foi pour former avec ses amis un ménage spirituel à trois.... des plus nauséabond. Des pages et des pages de discussions théologiques entre les deux garçons, dégoulinantes de références à des penseurs inconnus, mais à la pensée fort sophistiquée et à des notions dogmatiques dont tous les chrétiens moyens se fichent complètement. Chacun et chacune a son directeur de conscience, étant sans doute incapable de se diriger tout seul.

           Et, ce qui prouve que Rebatet est tout, sauf un écrivain: le propre d'un écrivain est de rédiger des dialogues où transparaissent la personnalité, la façon d'être des personnages. Chacun a sa voix! C'est le moins, non? Or, ici, les trois parlent exactement de la même façon, caricaturalement chargée et pédante, y compris la jolie petite pintade qui prépare mollement son bac, en séchant beaucoup, mais qui aurait déjà lu tout saint Philéaste de la mare aux canards dans le texte (araméen). Quelle nullité!  Tout est invraissemblance. Chiffrez leurs déambulations philosophiques, de la Tête d'Or au Quai Perrache (oui ça se passe à Lyon): ils font chaque jour l'équivalent d'une étape du Paris Strasbourg... Michel va passer tout un hiver lyonnais déambulant quatre heures par jour, sans un rhume, vêtu d'une seule petite veste sur une chemise; il n'a plus de manteau (il faut dire qu'il dédaigne de travailler, le contact avec la populace lui donnant des nausées).  

               Car oui, Michel méprise tout le monde. Vous ne trouverez pas une seule fois le terme "femme", ce sont des femelles. Ou des gaupes. Ne cherchez pas non plus le terme "arabe". Vous trouverez à la place sidi, ou bicot. Quant au peuple.... je ne résiste pas à reproduire une phrase prise au hasard (il y a bien pire ailleurs): .... ils portent trop hideusement  les stigmates de leur esclavage pour que l'on puisse leur être fraternel.... si ces hommes valaient mieux que leur sort, ils l'auraient dompté. Qui méprise tout le monde montre par là qu'il est hautement méprisable? Ben oui

           Car pour autant, les bourgeois ne trouvent pas plus grâce à ses yeux: c'est que c'est un intello, lui! il a le bac et deviendrait sûrement un grand écrivain s'il était moins feignant. Non, au fond, les seules personnes qu'il admire vraiment sont ceux qui portent la veste coupée exactement à la dernière mode de Paris (Lyon étant un cloaque) sur la chemise parfaite, avec les gants et les bottines sur mesure; d'ailleurs dès qu'il récupère (par le vol mais assommer pour le voler un gros gras négociant en bovins de la Haute Saône, ce n'est pas voler) de l'argent, il court vite se commander à Paris un costume à ses mesures et une douzaine d'élégantes chemises...

           Abrégeons car je m'échauffe: passons au deuxième tome. Voilà qu'un directeur de conscience trop sévère s'avère qu'il n'est pas normal que le futur curé passe son temps libre à gougnotter une lycéenne. Il ordonne qu'on rompe. Regis se soumet, Anne-Marie se révolte, Michel l'initie à l'incroyance totale, finit par l'initier à la chair, (éloignez les enfants!! passages X!!), mais il n'en profitera pas longtemps et la belle sombrera dans la débauche . Amen..

           Après être sorti du gnouf, Rebatet sera accueilli partout, reçu, publié, invité chez Chancel... Comment ne pas faire le parallèle avec Céline, resté définitivement pestiféré -évidemment, ses paroles sont immondes! et il aurait contribué à faire arrêter certains juifs- alors que chez lui, il  reste une part d'humanité, liée en particulier à son activité de médecin, et à son antimilitarisme. Céline est complexe, lui; mais il n'appartenait pas à ce petit milieu d'intellos germanopratins... Il n'a donc pas été repêché. Il n'en demeurera pas moins, pour la postérité, que Céline a été un immense écrivain, alors que Rebatet est déjà oublié...

           Si ce copinage n'avait pas joué (honte à Camus, Anouilh... mais aussi Mauriac, Bernanos, oh là, vous trouvez pas qu'elle a bon dos la charité chrétienne?), si le jugement avait été exécuté, Rebatet n'aurait jamais eu le loisir de commettre cette bouse. Honte aussi à la blanche, qui l'a publiée...

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