Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ninidesLaux.over-blog.com

Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

LA ZONE D'INTERET réalisé par JONATHAN GLAZER

Sandra Hüller

          On se sent très mal après ce film terrifiant, dans sa froideur, dans sa banalité, dans son indifférence. On sait bien que les films fantastiques les plus effrayants sont ceux qui en montrent le moins.... comme Le projet Blair Witch. Ainsi, sans rentrer dans l'enfer d'Auschwitz, juste évoqué par le sommet des toitures aperçu derrière les hauts murs du jardin, par des bruits de coups violents, par des cris parfois (mon Dieu, que ces gens là sont mal élevés à crier comme ça quand on les bat à mort!!) et ces fumées rougeâtres qui émanent des hautes cheminées: celles là, elles sont de presque toutes les images, et en fait on ne les voit pas, l'oeil attiré par ce délicieux jardin....   Car oui, le jardin paradisiaque est accolé au camp de concentration.     

Christian Friedel

        Et oui, la famille Höss, Rudolf (Christian Friedel) et Hedwig (Sandra Hüller) ont reconstitué un petit coin de paradis, un peu à l'écart du village d'Auschwitz. On est au sud de la Pologne, le climat est donc relativement clément et on peut, l'été, piquer niquer au bord de la Vistule et s'y baigner. Ausgemacht Hausfrau, Hedwig élève les cinq enfants dont l'ainé est déjà aux jeunesses hitlériennes, et le bébé confié aux bons soins d'une bonne-esclave, gère et rudoie les domestiques et réceptionne les objets piqués aux juifs que des détenus furtifs viennent apporter: nourriture, y a pas de petites économies, et les jours de chance, bijoux, ou même un manteau de vison!! Quelle belle famille, quelle famille unie, même si Papa est trop pris par son travail, il emmène les enfants canoter sur le beau bateau qu'il a reçu pour son anniversaire....

        D'un champ qu'ils ont annexé, cette maîtresse de maison accomplie a donc fait un magnifique jardin qui croule sous les fleurs, avec même une pataugeoire avec toboggan pour les enfants et une serre remplie de plantes exotiques. Aussi, quand Rudolf a une promotion (il le mérite bien: il a eu une rôle déterminant dans la conception du camp d'extermination parfait; grâce à lui, le rendement est à son maximum!), et doit partir à Oranienburg, Hedwig pique une crise: c'est sa maison, c'est son paradis, Rudolf doit aller jusqu'aux plus hauts dignitaires, Himmler, Hitler s'il le faut, mais il faut qu'ils puissent garder la maison! Elle le gardera. Elle y accueille sa mère, mais celle ci, s'apprenant que ce qui sort des cheminées, ça pue, prend la fuite, sans qu'on sache si c'est parce qu'elle ne supporte pas ce qu'elle découvre ou juste... parce que ça pue! Ajoutons, ce qu'on ne voit pas dans le film qui s'achève au moment où Rudolf est au plus haut de son ascension, que l'épouse aimante dénoncera la cachette de l'époux après la guerre afin elle même de ne pas être envoyée en Sibérie, comme elle en est menacée... Au moins, en voilà un qui n'aura pas pu fuir en Argentine... Quant à elle, elle mourra à 81 ans aux Etats Unis où elle est partie rejoindre une de ses filles mannequin... Pouah!

       Le film est encadré par deux séquences musicales remarquables. On commence par de la musique sérielle devant un écran noir. Le générique de fin est accompagné par une musique grinçante, détonante, diabolique! J'ai lu des critiques qui reprochaient au film de ne pas montrer Auschwitz, à part à la fin une courte séquence dans le Musée où des travailleuses "nettoient" -vous voyez... et surtout de montrer tous ces dignitaires de l'armée tellement élégants, tellement bourgeois; ou Höss pas assez terrifiant; mais c'est ça qui fait justement la force du film: ce fait incompréhensible que des gens éduqués, qui se recevaient en écoutant du Mozart, qui aimaient la musique et les fleurs aient pu promouvoir la monstruosité, l'indicible, ou simplement l'accepter, ou simplement vivre à côté en s'en désintéressant... Et cela s'est passé il y a moins d'un siècle, au pays de Goethe et de Beethoven; cela reste pour nous qui sommes (à peu près) normaux et aimons les fleurs et Mozart, comme une fracture béante dans le sol qui nous fait découvrir l'immonde qui peut se cacher dans la nature humaine.

 
 
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
Salut. Je suis vraiment contente que ce film ait remporté deux Oscars. Il m’a vraiment marqué et m’a profondément touché. D’ailleurs, j’y pense encore de temps en temps alors que je l’ai vu il y a plusieurs semaines. Je le recommande à tous ceux qui ne l’ont encore pas regardé.
Répondre