LA SERVANTE ECARLATE de MARGARET ATWOOD

        Vous le prenez: vous ne le lâchez pas avant la fin. Addictif! Cette dystopie, reprenons ce terme que tous les journalistes utilisent à tort et à travers depuis qu'ils savent ce que cela veut dire (il y a dix ans c'était oxymore) ne saurait être comparée qu'à 1984.... Sauf que, d'une certaine façon, et même s'il n'y a pas l'ironie latente qui faisait le charme d'Orwell, on entre plus directement dans la fable, parce que nous avons vu ce que peut être le sort des femmes dans certaines civilisations, et que nous savons que tout est possible.

         Le monde a été dévasté par la surconsommation et la pollution qui l'accompagne. Il s'ensuit une baisse drastique de la natalité. Les femmes ne sont plus fécondes, et les enfants sont souvent malformés. Par ailleurs, la pornographie est partout avec des lieux de consommation. Un jour, un putsch dans un pays qui doit être les Etats Unis. Un groupe religieux prend le pouvoir: c'est le régime de Gilead. Du jour au lendemain, l'héroïne, une jeune cadre, mère d'une petite fille s'aperçoit que son compte en banque a été désactivé, et son employeur met tristement son personnel à la porte. Les femmes n'ont plus de droits. 

            Elles sont partagées en quatre catégories. Négligeons les Econofemmes, les épouses des minus. Dans une maisonnée il y a l'épouse du Commandant (titre qui ne renvoie pas forcément à une activité militaire, mais à tous les responsables, les hommes de pouvoir), vêtue et chaussée de bleu, auquel les Epouses peuvent ajouter toutes les dentelles, toutes les fanfreluches possibles; il y a les Marthas, en vert pisseux -les bonnes. Et avec un statut particulier, la Servante Ecarlate, toute de rouge vêtue, avec de longues ailes blanches qui cachent le visage -personne n'a le droit de se regarder en face. La servante a été choisie jeune, en bonne santé, et ayant déjà procréé d'un enfant sain. Son rôle va être de donner au foyer la descendance que le couple ne peut faire. Elle a été enrégimentée dans des maisons rouges, spéciales, dirigées par les terribles Tantes et leurs aiguillons à bestiaux..... On l'a arrachée, cette Defred  (elles n'ont plus de nom: elle est de fred, parce qu'elle appartient au Commandant Fred), à son mari, exécuté sans doute, à sa petite fille, donnée à l'adoption.  Si elle parvient à faire cet enfant, après la période d'allaitement -le bon lait maternel, elle sera donnée à une autre famille où elle deviendra une Dewarren ou une Deglen. Quand elle ne pourra plus servir, elle sera envoyée dans une terre éloignée à trier les déchets toxiques. Malgré tout, le sort des Servantes n'est pas le pire. Elle est bien nourrie, forcément, servie dans sa chambre par une martha; et traditionnellement, ce sont elles qui font les courses, à deux (pour pouvoir se surveiller mutuellement). Partout, il y a des Gardiens, et des voitures noires à vitres fumées où circulent les terribles Oeils.....

          Oh, ne vous attendez pas à de l'érotique. On est loin de la concubine ou de la deuxième épouse chinoise. Lors de ces lugubres copulations, qui ont lieu aux dates savamment choisie, la servante est coincée entre les jambes de l'Epouse qui lui tient les poignets. il ne faudrait pas que dans le feu de l'action, quelque frôlement intempestif puisse passer pour une caresse, un geste de tendresse! {Il y aura d'ailleurs la même mise en scène au moment de l'accouchement} A part ça, mais chut, il y a quand même quelques bordels pour les Commandants, où officient des putes vêtues des quelques oripeaux hétéroclites ayant échappé aux autodafés...... 

          Il semble bien que le Commandant soit vaguement, et sans le dire, tombé amoureux de Defred, avec qui il fait des choses interdites -des parties de scrabble en tête à tête, la nuit, dans son bureau! Mais, même si elle ne cesse de penser à son mari,  elle est plus attirée par un Gardien, le chauffeur /factotum du Commandant, avec ses manières de voyou, qui sert d'entremetteur. 

           Par Deglen, elle comprend qu'il y a des mouvements clandestins de résistance. Ensemble, elles se promènent -le lieu de promenade préféré, c'est le mur où l'on accroche les pendus, exécutés au cours de cérémonies collectives de Rédemption. Suivie éventuellement d'une Particicution où un homme -un violeur par exemple- est livrée aux femmes qui, comme des Ménades, le mettent en pièce..... Mais un jour -Deglen est une autre. La première a disparu..

                Ce qu'il y a de superbe, dans ce livre, c'est que cet univers dingue -on y croit. Tout est si bien architecturé, structuré, décrit qu'on finit par croire, dur comme fer, que la dictature de Gilead a vraiment existé! Car, les enfants volés pour être donnés à des dirigeants -il suffit de penser au Chili; l'interdiction de l'instruction -elle est courante dans la plupart des régimes islamistes. Et ces femmes enfermées, empaquetées dans leurs burquas ou leurs tchadors, empêchées de se trouver seule avec un homme si ce n'est leur mari, leur père ou leur frère, combien de millions y en a t-il dans le mode? La géniale Margaret Atwood a juste conçu autour de ces réalités un monde cohérent et original, bizarroïde mais possible, un monde de flicage généralisé et de puritanisme exacerbé.  Son inventivité, elle l'a mise dans les codes, dans les détails, soignant son décor de théâtre pour que l'on y voit la réalité. 

           Je cours maintenant commander la série......