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Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

OH, CANADA, de RUSSELL BANKS

        Plus intimiste, moins ample que certaines oeuvres de Russell Banks, Oh Canada est peut être la plus impressionnante, avec la maitrise absolue d'un récit qui se déroule en quelques trois heures, dans la chambre d'un mourant. Et quand on pense que Banks ne l'a jamais eu, ce fameux prix qui s'est déconsidéré récemment en couronnant une femme pleurnicharde et revancharde, qui écrit avec son pied gauche... 

        Le cinéaste Léonard Fife est une grande conscience de la gauche américaine. Il s'est réfugié au Canada pour échapper à la conscription pour la guerre du Vietnam (même si Joan Baez affirmait dans le même temps que les jeunes pacifistes devaient rester dans leur pays et affronter la prison). Il a dénoncé, le premier, des scandales comme celui de Gagetown, trou perdu du Canada où les Etats Unis ont déversé en toute impunité leur agent orange, pour vérifier qu'il défoliait bien, avant de l'employer à grande échelle au Vietnam.

        Oui mais voilà: Léonard Fife va mourir, rongé par le cancer, et ce n'est même plus une question de semaines, tout juste de jours. Léonard survit flanqué de poches et de tuyaux, veillé par René, sa robuste infirmière qui sait toujours quand il faut changer la poche, revisser le tuyau et administrer la morphine. Avant cette fin annoncée, deux de ses anciens élèves cinéastes et disciples, Malcolm et Diana, veulent filmer le dernier témoignage de cette belle âme. Léonard accepte à condition que son épouse Emma -40 ans d'une union fusionnelle- soit là, tout le temps, derrière lui, et que l'interview se passe dans un noir presque absolu. C'est qu'il a décidé de parler à Emma, à elle seule, pour qu'elle sache, enfin, quel homme il a été. Il ne peut pas parler à Emma face à face. Il ne le peux que par le truchement de la camera. Et il ne répondra pas à des questions. Il va raconter.

        Et son récit commence à Richmond (Virginie), chez les riches parents de son épouse Alicia, enceinte et qui lui a déjà donné un fils, alors qu'ils s'apprêtent à déménager pour le Vermont, où Leopold a obtenu un poste de professeur d'université, non loin de la petite ville où il est né -bien que les beaux parents lui aient proposé de reprendre leur succession dans la prospère petite firme parapharmaceutique qu'ils possèdent. Non, Léonard va remonter dans le Vermont -pas très loin de la frontière canadienne- avec une grosse somme en liquide lui permettant d'acquérir leur nouvelle maison.

        Imaginez la confusion de Malcolm et de sa petite équipe. Ce n'est pas du tout ça qu'ils sont venus entendre. Qui c'est, cette Alicia? Mais cela sera ça -ou rien. Et puis Léonard parle de son adolescence, dans cette petite ville miteuse, auprès de parents qui ne s'intéressent pas à lui, ado qui parle avec suffisance de sa vocation d'écrivain alors qu'il n'a pas écrit une ligne, qui critique des livres qu'il n'a pas lus... Et qui un jour fichera le camp en Floride avec sa femme Amy, en cloque, dans une voiture volée. Qui ça, Amy? Celle qu'il a abandonnée avec leur fille quand il a rencontré Alicia.

        Quant il a quitté le Vermont, il a raconté à tous ses amis qu'il partait rejoindre Fidel Castro. Fidel Castro! Fugitif espoir de Malcolm de ramener Léonard dans la bonne voie, celle de son engagement politique... Bien sûr, ça ne dure pas. D'obtenir quelques détails sur son amitié avec quelqu'un qui ne s'appelait encore que Robert Zimmerman... Mais non.

        Alors, certes, c'est un des thèmes des écrivains américains vieillissants, (on pense à Philip Roth), se décrire avec un masochisme joyeux dans toute sa médiocrité. Mais Fife n'étale pas avec complaisance la venue de la mort et le délabrement d'un corps dégradé par la maladie. Le minable, le velléitaire, l'homme sans honneur, il habitait dans un corps  jeune et vigoureux...

        L'extraordinaire talent littéraire de Banks transcende totalement ce thème, mêlant le récit à la réalité de la chambre obscure, où Malcolm pense à ce qu'il pourra tirer de ça, même si ce n'est pas du tout le sujet prévu, où Emma tente de s'en aller, discrètement, mais Léonard s'en aperçoit toujours, où Emma veut que ça s'arrête, où Emma dit que ce sont les divagations d'un esprit imprégné de morphine... Alors, vérité? Ou inventions à demi-conscientes de l'écrivain que Léonard aurait voulu être, mais qu'il n'a jamais été? Le lecteur ne le saura jamais. Est ce qu'au moment ultime, au moment où on sait que le mot fin est écrit, qu'il 'y aura plus aucun moment glorieux à ajouter à une biographie, on n'a pas envie de faire tapis, de jeter sur la table son petit tas de misères? Que cherche t-il à dire à Emma?

        Oui, c'est un livre somptueux. Qui à lui seul vaudrait le Nobel à Banks. Un homme? Un américain, blanc? Vous n'y pensez pas!!!

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