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Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

ECOUTEZ NOS DEFAITES de LAURENT GAUDE

          Un roman virtuose -un peu trop peut être- qui mêle de façon narrative  six destins. Ceux de trois personnages contemporains au sein du Proche-Orient; ceux de trois personnages historiques, dont le choix surprendra peut-être: le général Grant; le Roi des rois, Haïlé Sélassié; et Hannibal, celui qui fit trembler la puissante Rome....

          Nos contemporains: deux hommes, une femme. Mariam est irakienne, archéologue. Son métier est d'identifier des objets retrouvés, volés, ou objets de trafic; et maintenant elle assiste impuissante à la destruction des musées, au broyage de reliques d'une inestimable valeur au fur et à mesure de l'avance talibane. Elle a aimé un homme, et puis il l'a quittée, et depuis, elle peut passer une nuit avec des rencontres fugitives, au fil de ses voyages. C'est ainsi qu'elle croise celui qu'on appelle Assem Graïeb, un nom de hasard qui sera vite remplacé par un autre, cet agent des services de renseignements français chargé de retrouver Sullivan, ou Job, notre troisième personnage. Membre des commandos d'élite, Sullivan a participé à la capture de Ben Laden et a assisté à son immersion dans les flots. Mais depuis, il a disparu, il vivrait de petits trafics... mais les américains voudraient bien savoir s'il n'est pas passé à l'ennemi.

          Hannibal, le carthaginois, est formé à la grecque, il pense à la grecque. La puissante Rome veut étendre son pouvoir sur toute la Méditerranée, au dépend de la puissante Carthage en particulier.... les cités ennemies se disputent la Sardaigne, la Sicile; Hannibal, tout jeune encore est nommé général en chef et attaque Rome en passant par les terres, traversant Pyrénées et Alpes avec ses éléphants. C'est la bataille du lac Trasimène, puis celle de Capoue: le voilà aux portes de Rome.... Mais, le vent tourne et Hannibal est défait par Scipion l'Africain; c'est l'exil; le voilà mercenaire pour différent rois, se mettant celle fois du côté du monde hellénique. Il finira par se suicider en avalant du poison.

          Haïlé Sélassié le chrétien proche du monde occidental (l'Ethiopie est membre de la SDN) voit son pays attaqué  par l'Italie fasciste; lâché par l'Occident, il fait un magnifique discours devant la SDN mais cela ne sert à rien. Il doit s'exiler, et il  faut le déclenchement de la guerre pour qu'il soit rétabli sur son trône; c'est un militant de l'unité africaine. le siège de l'Organisation de l'unité africaine est d'ailleurs à Addis-Abeba. Hélas, au fil du temps, le démocrate, le libérateur se transformera en autocrate; il sera renversé par un groupe révolutionnaire et assassiné. Voilà deux destins magnifiques qui se sont transformés en naufrage. Deux défaites, finalement, d'hommes qui, à un certain moment, avaient tout gagné. On connait la phrase historique "tu sais vaincre, Hannibal, mais tu ne sais pas profiter de ta victoire"

         Et Grant alors, qu'a t-il à voir avec ces deux là, lui qui fût président et mourût couvert d'honneurs? Alcoolique notoire et socialement raté, il se mobilise contre l'esclavage et se  porte volontaire (il avait un passé militaire) au moment du déclenchement de la guerre de Sécession. Nommé colonel, il jouera un rôle prééminent dans la victoire contre les Confédérés, mais au prix d'un nombre épouvantable de victimes, ce qui lui valut l'aimable surnom de "boucher". Alors, derrière l'ascension de Grant, n'y a t-il pas la défaite de l'humanité?

          C'est cela que nous dit ce beau livre. Il n'y a pas de victoires -à part l'amour humain, à part la simple volupté de vivre, il n'y a que des défaites. Tous les succès militaires se sont construits sur un tapis de victimes. Comment ne pas y penser au moment où à nouveau une guerre absurde se développe en Europe. Grant était, sans  aucun doute, dans le bon camp. L'Ukraine est, sans aucun doute, dans le bon droit. Peut on dire, pour autant, que si elle gagne il n'y aura pas eu une défaite de l'humanité?

          Laurent Gaudé écrit admirablement. Quelle belle langue, riche, élégante, et pourtant simple... Le petit reproche que j'ai formulé au début, c'est qu'on sent un peu le procédé dans cette construction où nos six héros avancent l'un derrière l'autre, parfois c'est un simple paragraphe, parfois plusieurs pages, aussi régulièrement alignés que les tranches de tomate et de mozzarella dans une tomate/mozza.... Mais c'est un beau livre, qui donne à réfléchir.

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