Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ninidesLaux.over-blog.com

Une analyse critique de films, livres, opéras et expositions de peinture

LA FEMME SANS OMBRE à l'OPERA DE LYON

 

     La voilà enfin, cette Femme sans ombre, si espérée, si attendue! C'est que cette oeuvre, écrite par un Richard Strauss encore jeune, très longue -au bas mot 3 heures quinze- est un cauchemar à produire! Il faut cinq voix wagnériennes, robustes... Il faut un orchestre pléthorique (l'orchestre de Lyon, excellement dirigé par Daniele Rustioni, ne  pouvant pousser les murs de la fosse... a utilisé l'orchestration de Leonard Eröd pour 70 musiciens.)  Saluons aussi au passage le  Chef des choeurs, Benedict Kearns. 

       Ensuite il faut des décors -on est entre deux mondes, bien différentiés, bref il faut tout et trop! Pas étonnant que les directeurs d'opéra hésitent...

       Et puis... il faut des idées aussi! Car dans son conte fantastique, Hugo von Hofmannstahl a beaucoup mis. De l'onirisme, de la philosophie, de la psychanalyse... Un rêve pour un metteur en scène fou, comme on en connait.... trop, mais gare à l'arrivée.

       J'avais vu cette oeuvre à l'Opéra de Paris, du temps où nous n'avions que la salle Garnier, dans une calamiteuse mise en scène de Robert Wilson, vous savez, tous ses tics au rendez vous, les personnages qui se déplacent de profil avec les poignets cassés façon bas relief égyptien de la haute époque. Ce type là, il a trouvé UN truc, qui a bien marché, et il l'a reproduit à l'identique sans se préoccuper de savoir si ça collait avec l'ouvrage. Je me souviens d'un Ring au Théâtre des Champs Elysées particulièrement inepte...

        Le cinéaste et directeur artistique de l’Opéra de Varsovie, Mariusz Trelinski, lui, a pris l'oeuvre à bras le corps, accepté des décors monumentaux et tournicotants comme on n'ose plus en montrer (beaux décors de Fabien Lédé), utilisé à fond les lumières et les vidéos (très belles, merci Marc Heinz), bref a joué le jeu. D'un côté, l'élégance du monde de l'empereur, bordé d'une végétation tropicale, où jouent les lumières. De l'autre, l'univers des hommes, mobilier Ikéa et délabrement. La forêt tropicale sépare ces deux mondes..... La mise en scène est donc fidèle à l'univers hofmannstahlien, même si on aurait aimé une fin plus lisible.

       L'empereur poursuit une biche avec son faucon préféré, et cette biche se transforme en femme. Et ils tombent amoureux l'un de l'autre. Et se marient. Mais cette fille du Roi des Esprits n'est pas réellement devenue humaine; la lumière la traverse. Elle n'a pas d'ombre. Elle ne peut concevoir d'enfant. Et, si elle n'a ni ombre ni enfant au bout d'un an, elle devra retourner au royaume de son père, et l'empereur sera transformé en pierre....

      Sa nourrice la pousse à acheter une ombre  auprès de pauvres gens, qui n'ont plus de désir d'enfant. Mais cette nourrice a elle même un double langage; elle ne souhaite qu'une chose: que sa maitresse retourne au royaume des Esprits.... Personnage maléfique, donc mezzo -excellente Lindsay Ammann, toute en noir sévère; pourquoi les nourrices sont elles toujours de mauvaises conseillères dans le théâtre classique, comme si le fait de s'attacher à un enfant qui n'est pas de sa propre chair troublait leur raisonnement? Sur ,les (mauvaises) photos, elle est entre le couple impérial.

     

       La nourrice jette son dévolu sur un couple apparemment mal marié, Barak et sa femme la Teinturière. Ils ne se sont pas épousé par amour; elle dit que Barak l'a achetée; et il y a ses abominables frères, pique assiettes mal élevés qui sont toujours entre leurs pattes. Barak essaye de concilier tout le monde... Mais son épouse bovaryse, derrière ses ballots de vêtements, prête à vendre son âme (et son ombre) pour voir un joli jeune homme rentrer dans sa vie...

       Voyez comme il nous ressemble, comme il est  humain, ce pauvre couple.... Mais c'est bien grâce à eux que nous accédons au bonheur musical -même s'ils ont des personnalités vocales très différentes. Le baryton-basse autrichien Josef Wagner chante comme dans un opéra romantique, avec un phrasé de liedersänger et un bien beau timbre; au contraire, l'américaine Ambur Braid a la vaillance d'une Brünnehilde, on l'imagine bien passer à Wagner dans la suite de sa carrière. On ne félicite pas, par contre, le costumier qui l'a déguisée à la limite du ridicule.

       Mais l'autre couple me direz vous.

       Revenons en arrière. Voilà qu'avant l'ouverture, le directeur de l'opéra se présente sur scène -c'est toujours mauvais signe. Apres un hommage appuyé aux intermittents du spectacle qui ont beaucoup contribué à la réussite de la soirée, il en arrive aux annonces. L'empereur, malade, s'est retiré (je crois que ce n'est pas une perte car j'avais lu qu'il était médiocre). On lui a retrouvé un remplaçant qui a pu assimiler la mise en scène, mais, damned! le remplaçant a chopé un rhume il n'a plus de voix...

        L'impératrice? enrhumée et aphone aussi. On lui a également trouvé une remplaçante in extremis qui n'a pas eu le temps, elle, d'assimiler la mise en scène alors elle chantera du bord du plateau, Sara Jacubiak assurant le jeu scénique avec un masque sur le nez.... Cette remplaçante dont je n'ai pas le nom, fait mieux que d'assurer. Faut avoir le moral quand on est directeur d'opéra et qu'on monte un spectacle dont peu de chanteurs possèdent les rôles...  

     Le troisième acte, je l'ai déjà dit, est assez complexe. Le Roi des Esprits est furieux. Les quatre protagonistes errent, séparés les uns des autres. Barak cherche désespérément son épouse; elle, a pris conscience de la valeur de Barak et désire aussi le retrouver. L'empereur est changé en pierre. Mais l'impératrice refuse de construire son bonheur sur le malheur du couple humain: elle ne prendra pas l'ombre de la teinturière, cette ombre qu'elle a acheté. Et c'est par ce renoncement, par cet acte de profonde humanité.... qu'elle délivrera son mari et accèdera, enfin, à cette humanité.... et à l'enfantement!  Quelle belle idée! Cela dit, la fin est assez cafouilleuse et l'idée de faire surgir des poupons en celluloïd au milieu d'enfants, eux aussi masqués en poupon, tous ces enfants à venir qu'auront les deux couples n'est pas des plus originale.

       Enfin, bref: on a passé une superbe soirée comme en témoigne l'enthousiasme du public!

 

 
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article